BIOGRAPHIE

Régis Guérin et Jean-Jules Soucy

 

Texte de Christine Martel

lu à la présentation de Jean-Jules Soucy

au Gala de l’Ordre du Bleuet, le 19 novembre 2021


Descendant de Brest en Bretagne, Pierre Laurent Soucy et son épouse, Gabrielle Guité, tous deux de Miguasha dans la Baie des Chaleurs en Gaspésie, s’établissent au Saguenay en 1947. À croire que la lignée est prisonnière du 48o parallèle ! C’est là que s’éveille au monde Jean-Jules Soucy, le 6 juin 1951, dans le lit de la Baie des Ha ! Ha !, berceau idéal d’une carrière abreuvée à l’ironie. L’artiste visuel se donne très tôt comme mission de commenter son époque, sans chercher à convaincre, mais plutôt en illustrant, à sa manière, sa vision des choses. Son exubérante créativité est alors mise au service d’une critique sociale décapante, à travers une théorie de graphe ahurissante que traverse une poésie déconcertante. 


C’est au cégep que tout cela commence, au cours d’histoire, dont les livres empruntent à l’art une imagerie évocatrice. Le jeune étudiant est littéralement captivé par tant de chefs-d’œuvre. Après ses études universitaires en enseignement des arts, il choisit de se concentrer sur les fonctions de sa discipline et en fait son principal objet de réflexion, parallèlement à une charge de cours de quelques années à l’UQAC. Endoctrinement et bourrage de crâne n’ont qu’à bien se tenir ! Le pourfendeur de lieux communs n’a même pas dit son premier mot…


Le besogneux a la langue bien pendue et se met à l’ouvrage, récupère les matières et recycle les idées. Au détour d’une formule bien assénée, d’un calembour désarmant, le pince-sans-rire échafaude peu à peu une logique qui confond l’entendement. Dans le flux et le reflux de cette sémantique étourdissante se manifeste alors un engagement social et environnemental qui intègre ni plus ni moins l’art à la vie. Le Film L’art n’est point sans Soucy de Bruno Carrière, en 1994, trace d’ailleurs un très beau portrait de l’attachant phénomène.

Voué à une prometteuse carrière, l’impertinent raisonne et résiste longtemps à l’appel des grands centres. Il fait la démonstration qu’il est tout à fait possible de créer en région, à une époque où l’on croyait devoir s’exiler pour être reconnu. Son travail et sa réputation voient du pays, et cela, sans qu’il ne quitte longtemps son atelier. Sauf pour un déplacement de cinq mois au Canada anglais, à vélo stationnaire, et un séjour de quatre mois, à Philadelphie, pour revisiter l’œuvre de son père spirituel, Marcel Duchamp. Le personnage aux pirouettes rhétoriques et aux réparties assassines s’impose, pas à pas, grâce à une éloquence digne des plus grands embobineurs de la pensée.


Proche cousin de Prévert, il exprime ses idées, détourne allègrement les vocables et déniche du sens à contresens de l’entendement. Il n’a pas peur des mots qu’il manipule adroitement en repoussant les limites de la dérision. Ses installations, parfois cyniques et même subversives, découlent de procédés participatifs et accessibles tels que le bricolage et le bidouillage. Ainsi se matérialise, par le ludisme et les jeux d’esprit, une lucidité très personnelle. Car si celui qui redéfinit les codes de la création semble beaucoup s’amuser, sous ses airs de bouffon se cachent des préoccupations dont la portée politique est redoutable. C’est en effet pour dénoncer une culture asphyxiante, et remettre en question un art contemporain déconnecté du public, qu’il multiplie les interventions et les installations à grand déploiement. Son sens de la répartie défléchit alors les clichés et ébranle allègrement les évidences dans une esthétique visuelle pléthorique et délirante mise au service du droit commun. 


Les mots parlent parfois d’eux-mêmes, les titres évocateurs de ses réalisations l’illustrant bien : Les grandes moppes canadiennes par exemple, en 1988, un troupeau de chèvres confectionnées avec des vadrouilles, monstration métaphorique qui propose une double réflexion écologique et éthique sur la liberté; Bouffons, en 1997, un banquet de desserts élaboré à partir de bandelettes de chandails et de chaussettes, interrogeant notre rapport à l’abondance; L’Œuvre pinte, en 2003, dont le fameux Tapis stressé, sculpture sociale d’une envergure étonnante évoquant la ceinture fléchée, tramée à partir de 60 000 contenants de lait fournis, lavés, séchés et tissés par la collectivité. 


En 2005, le « Tour du Canada en vélo stationnaire » du Baieriverain est en soi un exploit de plus à son crédit : une tournée canadienne dans 17 galeries d’art, pédalé sur place de La Baie au Québec à Victoria en Colombie-Britannique, à la fois totalement loufoque et vécue avec le plus grand sérieux et professionnalisme. La performance permet à l’infatigable créateur, désormais très limité dans ses déplacements, de faire reculer une fois de plus les frontières de l’imaginaire. Le souffle inventif a suppléé à celui de l’homme, qui ne se laisse jamais abattre et nous enfirouape encore au détour des obstacles rencontrés sur son chemin.


Aujourd’hui, ce singulier ambassadeur est moins présent sur la place publique, mais son œuvre continue d’être célébrée et la reconnaissance du milieu s’exprime de multiples façons. 2020 marque un anniversaire capital, les vingt ans de la « Pyramide des Ha ! Ha ! » inaugurée lors de la « Fête du Saguenay–Lac-Saint-Jean ». Cette structure monumentale et pérenne est dorénavant une marque visuelle dans le paysage du Fjord que les citoyens se sont appropriée pour en faire un attrait touristique que découvrent de nombreux curieux chaque année. 


Le 30 août 2019, lors de la Rentrée culturelle, celui qui proclamait récemment être dans sa « retraite » a offert une intervention de son cru au centre d’artistes Le Lobe et volé la vedette, devant un public nombreux et ravi de retrouver sa désopilante bouille. Les nombreux admirateurs de l’attachant créateur seront donc très heureux d’apprendre que le commissaire Emmanuel Galland, en collaboration avec plusieurs diffuseurs régionaux, poursuit depuis quelques années une démarche pluriforme sur le travail de Jean-Jules. Son objectif est de concevoir une monographie rétrospective, alimenter un site Web et produire quelques balados consacrés au parcours de ce créateur exceptionnel. Et souligner ainsi la trajectoire singulière d’un humain abracadabrant !




Aucun commentaire:


POURQUOI L’ORDRE DU BLEUET



L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.